Les défis du journalisme indépendant

Résumé de la conférence de Monsieur Jérémy Seydoux
Rédacteur en chef, Léman Bleu TV
Forum de l’Hôtel Crowne Plaza, Tribune du MCEI
Genève le 19 juin 2025

Chaîne de télévision fondée à Genève en 1996, Léman Bleu compte une trentaine de collaborateurs, dont quinze journalistes. Son audience est en forte progression avec plus de 60 000 téléspectateurs chaque jour, 120 000 lors des élections et un pic à 150 000 personnes lors de la retransmission de la course de l’Escalade. Elle bénéficie d’une concession fédérale, valable encore 10 ans, ce qui lui assure une partie de la redevance radio/TV. À ce titre elle reçoit 3 millions et le reste de son budget annuel, de 5 millions, est financé par de la publicité, des partenariats et des contrats de production. Précisons que l’OFCOM interdit le financement public pour une TV locale.

Ses programmes allient information, divertissement, sport et culture. Pour surmonter ses difficultés financières, depuis quelques années Léman Bleu s’est développée vers les émissions politiques en imprimant une marque de chaîne de caractères, un peu irrévérencieuse, avec des enquêtes sur divers dysfonctionnements observés au bout du lac. En donnant la priorité à l’information et au journalisme, la chaîne est devenue un acteur clé du débat politique et citoyen. Ses révélations sur diverses affaires touchant des personnalités élues lui ont valu d’obtenir le Swiss Press Award, l’Oscar du journalisme suisse.

La presse a certes un pouvoir, mais elle a surtout des responsabilités. Ces dernières années la majorité des médias n’a pas souhaité s’emparer de certains sujets, pour des raisons qui m’échappent. Peut-être pour des raisons politiques, de connivence ou de confort. Des dossiers qui fâchent, difficiles à sortir parce qu’ils touchent à des gens qui sont très bien insérés et qui sont assez coriaces quand on s’en prend à eux. Le journalisme, c’est aussi avoir le courage d’aller au front sur des sujets qui dérangent où on ne sera pas, à la fin de la journée caressé dans le sens du poil par le pouvoir et ses commis. La satisfaction c’est d’avoir des retours du public qui nous remercie d’avoir levé des lièvres.

Dernier sujet en date, la pagaille suscitée par les réseaux thermiques structurants, un point sur lequel il n’y a eu aucun débat et aujourd’hui on en voit les conséquences. Léman Bleu essaye d’être un petit peu cette mouche du coche, pour que nos politiques réfléchissent plus avant de prendre des décisions. On s’attaque à des intérêts politiques et privés, et donc c’est intéressant de faire ce métier parce qu’il y a parfois des turbulences. Mais il faut garder la tête froide, ce n’est pas toujours facile,

Léman Bleu, qui a augmenté ses effectifs ces dernières années, c’est un peu une exception dans ce paysage médiatique qui souffre. Pour la chaîne, le journalisme est le cœur de notre métier, alors que les autres rédactions multiplient les licenciements. Les journalistes se font rares, y compris dans les radios locales. Ils sont remplacés par des clics musicaux, des programmes achetés à droite à gauche qui ne parlent plus vraiment de la cité, mais qui sont là pour occuper les oreilles. Il y a aussi un manque d’ambition de la part des personnes qui ont la charge de ces médias. Il y a aussi une responsabilité de la part des journalistes qui ne font pas tous très bien leur travail parce que le journalisme, c’est prendre des risques, c’est parfois déranger, c’est un peu aller au front. On sent que cette énergie-là est en train de s’éteindre avec le risque à terme que l’on se limite à résumer les communiqués de presse avec l’intelligence artificielle. Notre engagement porte ses fruits puisque le public nous suit de plus en plus, y compris sur les réseaux sociaux avec environ 40 000 abonnés sur Instagram et 300 000 sur Facebook.

Nous vivons une période compliquée, où la presse est critiquée, peut-être parfois pour son côté orienté, pour son côté partial. L’an dernier, une étude de l’université de Zurich portant sur 1200 journalistes, révélait que 75% se sont déclarés comme ayant une sensibilité de gauche, alors que cette proportion dans la population est de 33%. Il y a donc un clair décalage entre les préoccupations de la population et le profil des journalistes qui sont engagés dans les rédactions. Si la presse est en crise, c’est que peut-être aussi parce qu’elle est un peu déconnectée vis-à-vis du terrain. L’autre problème réside dans la pléthore de communicants, souvent des anciens journalistes, présents au sein des différents offices de l’État et les régies publiques. Souvent engagées avec de hauts salaires, ces personnes font blocage et ne transmettent plus que les informations banales, dans un jargon incompréhensible. Les médias n’ont plus un accès direct aux décideurs, ce sont les responsables presse qui filtrent les demandes. Il y a ainsi une déconnexion entre les dirigeants et la presse. C’est un danger pour la transparence, qui devrait prévaloir lors de la prise de décisions, et donc pour la démocratie. Le rôle du journaliste n’est pas d’être le porte-parole du pouvoir mais d’avoir un œil critique sur l’exercice de ce pouvoir, et ce indépendamment des courants politiques, de toute idéologie. Ne pas craindre de déplaire lors de la recherche des informations, voilà un peu le moteur de Léman Bleu.

(Résumé Luigino Canal)