Leader sur le canton de Genève, GHI compte 149 000 lecteurs hebdomadaires auxquels il faut ajouter près de 10 000 lecteurs supplémentaires résidant dans le canton de Vaud et en France voisine. L’histoire de ce journal gratuit c’est un peu celle de David contre Goliath ou plutôt celle d’un entrepreneur qui s’est retrouvé, avec son journal, seul face aux grands acteurs de l’édition romande.
Arrivé du Jura à Genève en 1962, après des études commerciales et muni d’un diplôme fédéral d’employé de commerce, la vie de Jean-Marie Fleury se fond avec celle de GHI. En 1970, à 28 ans, sans argent, il ouvre une régie publicitaire. Il s’attaque ainsi frontalement à l’oligopoleformé par Publicitas, Orell Füssli et Annonces Suisse. Après avoir analysé le marché, constatant l’absence de journaux gratuits en Suisse romande, il lance Genève Home Informations, distribué dans tous les ménages. Les débuts sont très compliqués. Dès la publication du premier numéro de GHI (8 pages), les éditeurs, les géants de la pub et l’establishment genevois ont tout fait pour barrer la route du premier gratuit romand.
L’homme à abattre
Du jour au lendemain, il est devenu l’homme à abattre, l’ennemi public numéro 1. Tous voyaient en lui un sérieux perturbateur à leurs affaires florissantes. Les journaux locaux lui mettent des bâtons dans les roues. Le combat le plus difficile a été contre les institutions genevoises, mais aussi face à des imprimeurs et au Trade Club, groupement qui réunissait les plus grandes entreprises de commerce de détail de la ville du bout du lac.
Les principaux éditeurs ont offert aux magasins des rabais supplémentaires de 10% sur leurs annonces publicitaires s’ils acceptaient de boycotter GHI. Cela pousse le frondeur à créer la zizanie au sein de ces commerces en réalisant des comparaisons de prix de produits dans chaque parution du journal. Afin de compenser les années de boycott des commerces genevois, Jean-Marie Fleury ira chercher des annonceurs en Suisse alémanique.
Le tissu, aujourd’hui en voie de disparition, de commerçant de petite et moyenne taille a aussi fait son succès.
Début de succès
Par la suite, il fera l’acquisition de ses propres rotatives car les imprimeries genevoises se sont fait menacer par les éditeurs si elles s’avisaient d’imprimer l’hebdomadaire. Dans la foulée, Jean-Marie Fleury lance Lausanne-Cités, un gratuit qui connaît, lui aussi, rapidement un fort succès. Après de multiples rebondissements, les principaux quotidiens et les commerces locaux diminuent la pression sur le titre genevois. GHI devient alors une sorte de Canard enchaîné romand où l’on peut découvrir des news piquantes et inédites. Des milliers de personnes ont trouvé leur voiture, un appartement ou même leur femme/mari en lisant les annonces de GHI. Dans les belles années, le journal a compté jusqu’à 60 pages. GHI offre le meilleur rapport audience/prix avec un coût de 109 francs HT pour 1000 lecteurs. Actuellement 600 petites annonces par semaine sont publiées.
Rachat par Tamedia stoppé
Cette année Christoph Blocher a annoncé sa volonté de racheter à Tamedia 50% des parts de GHI (Edipresse avait acquis 50% de GHI et de Lausanne-Cités en 1995, qu’il avait cédés au groupe Tamedia en 2012). Le tribun zurichois cherchait alors à acquérir une vingtaine de journaux locaux dans différents cantons suisses : il ne croirait plus à l’avenir des «grands titres nationaux». Mais cet achat a été stoppé net par Jean-Marie Fleury qui a usé de son droit de préemption pour racheter la part. En effet, à 76 ans, l’administrateur ne se voyait pas prendre sa retraite en laissant derrière lui son bébé, dirigé aujourd’hui par son fils. Car Christoph Blocher avait l’ambition de racheter à terme les 100% des deux titres gratuits. Jean-Marie Fleury note que la levée générale de boucliers contre l’arrivée de Christoph Blocher (certains partis politiques qui ont menacé de boycotter le journal) s’est estompée dès qu’il a annoncé qu’il reprenait le 100% ce son journal. À Genève, l’éditeur attend toujours que l’État publie ses annonces dans GHI. En revanche, à Lausanne, le canton a décidé de faire paraître chaque semaine un cahier d’annonce pour soutenir Lausanne-Cités.
Pour le futur, Jean-Marie Fleury estime que les journaux papier vont bientôt tous disparaître, probablement d’ici 10 ans. Mais avec sa formule gratuite, ses petites annonces et ses nouvelles locales, le GHI a encore quelques belles années devant lui. Et il restera de la place pour des journaux régionaux.
Pour en savoir plus le livre de Jean-Marie Fleury : «L’aventure GHI: un contre-pouvoir genevois» (Editions Favre)
(Résumé : Luigino Canal)